Dans cette interview, l’émission FACE A NOUS a reçu le Secrétaire général de la Francophonie, l’ancien Président sénégalais Abdou Diouf. Il a été question du bilan qu’il dresse à la tête de cette institution après 11 ans d’exercice et du prochain sommet de la Francophonie qui se tiendra les 29 et 30 novembre 2014 à Dakar au Sénégal. Lisez plutôt.
Constant Némalé: Merci de rester fidèle à Africa24 TV. Notre invité exceptionnel publie cet ouvrage appelé “Mémoires”. Abdou DIOUF, Secrétaire général de la Francophonie exerce son dernier mandat public. Le 1er Janvier 1981, il a succédé au Président Leopold Sedar Senghor comme Président de la République du Sénégal. Battu le 19 mars 2000 au second tour de l’élection présidentielle par Abdoulaye Wade, il quitte la vie politique de son pays. En 2014, il publie ses “Mémoires”. Abdou DIOUF est notre invité et nous avons beaucoup de questions à lui poser. Quel est le regard que vous portez sur le monde politique du continent aujourd’hui, entre votre ascension à la magistrature suprême en 1981 et 23 ans plus tard ?
Abdou Diouf: Je crois que notre continent est en voie d’émergence. Il est beaucoup plus démocratique puisque lorsque je suis arrivé au pouvoir, j’ai fait l’ouverture démocratique totale en 1981. Et quand je suis allé au sommet de la Baule en 1990, que Francois Mitterand poussait les autres États à aller vers plus de démocratie, j’étais pratiquement la vedette du sommet parce que je l’avais fait depuis janvier 1981. Je trouve qu’aujourd’hui, notre continent est beaucoup plus démocratique et plus respectueux des règles de séparation de pouvoir, de l’état de droit, de la bonne gouvernance.
Qu’est ce qui freine d’après vous, ce développement que tout le monde attend ? Est ce que c’est l’état de nos institutions qui semble encore fragile ou c’est le sentiment que nos politiques reposent encore sur le bon vouloir de ceux qui sont les plus grands décideurs au détriment des institutions ?
Je crois que c’est l’esprit public, pas du peuple, mais de certains dirigeants qui n’ont pas encore compris que le salut résidait dans l’intégration et l’unité africaine. Nous proclamons dans toutes nos institutions que nous voulons aller vers l’Union africaine, mais nous y allons à pas trop lents.
Un jour, j’écoutais un chef d’État parler des États unis d’Afrique. C’est déjà un progrès puisque j’étais à Syrte lorsque nous proposions l’Union africaine qui était l’exemple de l’Union européenne. Mais, il a ajouté quelque chose qui a tout brisé. Il a dit les États Unis d’Afrique dans le cadre de nos souverainetés. Si nous disons États Unis d’Afrique, c’est que nous abandonnons notre souveraineté au profit d’une entité.
La première des souverainetés, c’est la sécurité. Pensez-vous qu’on peut sereinement aborder cette discussion pendant qu’en Afrique notamment en Afrique francophone, les armées d’outre-mer sont fortement représentées ?
Les armées françaises ont été présentes à notre demande. Vous vous rendez compte de ce qui aurait pu se passer aujourd’hui au Mali si l’opération Serval n’avait pas eu lieu ? Le jour où François Hollande avait décidé d’envoyer l’armée, si on avait tardé, le Mali devenait un État jihadiste, islamiste, fondamentaliste.
En Centrafrique, si l’armée française n’était pas venue, on allait assister à un réel génocide.
Quelle est cette logique qui voudrait que nous ayons des armées, des budgets pour l’armée, mais que nous ne soyons pas capables de nous défendre et on fait appel à la France ?
Nous n’avons pas encore d’unités intégrées qui peuvent intervenir immédiatement.
Vous êtes Secrétaire général de la Francophonie. Tout récemment au Burkina Faso, le Président Blaise Compaoré a été renversé par un mouvement populaire. Pourquoi votre organisation et surtout votre autorité, n’avez pas su agir en amont pour prévenir cette crise ?
Pourquoi l’Onu n’a pas pu le faire ? Pourquoi la Cedeao n’a pas pu le faire ? Personne ne s’attendait à ce que ça finisse comme ça.
Mais, il y avait des indices montrant des signes de tensions…
M. Némalé, aucune organisation ne fait de l’alerte précoce comme nous le faisons. Nos alertes précoces qui ont réussi, personne ne les connaît. Et l’alerte précoce suppose que les responsables à qui vous vous adressez de tout bord, puissent aller dans le sens que vous indiquez.
Dans la moitié des pays africains, au regard de ces différentes crises, on voit 8 pays qui montrent une envie de changement de Constitution. Est ce que pour vous, nous avons des Constitutions solides ou est ce que nos Constitutions ne supportent plus aujourd’hui, une certaine durée au pouvoir. Qu’est ce qui explique cette fragilité selon vous ?
Il n’y a pas de fragilité, c’est l’ambition des hommes. Vous connaissez le slogan des vrais démocrates, “pour que la chose publique fonctionne normalement, il faut que le pouvoir arrête le pouvoir.”
Aujourd’hui, on a rendu un pouvoir qui a été arrêté par la rue. Et ça devient assez dangereux…
Oui, mais c’est une leçon aussi. La rue a donné une leçon.
J’ai fait l’interview du Président Blaise Compaoré. Et à l’écouter, il n’a jamais été dans l’illégalité dans la procédure entamée. Si on veut tirer des leçons, se pose un principe de moral et d’adaptation. Aujourd’hui, ce qui pose problème, c’est la durée du mandat présidentiel. Quel serait l’idéal par rapport à cette problématique d’alternance au pouvoir et de durée de mandat présidentiel ?
Je voulais tout d’abord dire toute l’estime que j’ai pour le Président Blaise Compaoré. Il a beaucoup fait pour son pays et pour l’Afrique. Nous, nous le savons à la Francophonie. Chaque fois qu’il y a une crise en Afrique de l’ouest, nous agissons, mais en maintenant, c’est à lui que nous faisons appel pour nous aider. Ce qu’il fait merveilleusement. Cela dit, je pense sincèrement, au point où nous en sommes rendus, que deux mandats de cinq ans suffisent au cours d’une vie publique à la tête de l’État.
On va considérer que vous inspirez certains d’autant plus que le Président actuel du Sénégal, Macky sall a souhaité de réduire son mandat de 7 à 5 ans. Quel regard vous portez sur le Sénégal d’aujourd’hui ?
Je ne répondrai pas à cette question. J’ai une très grande estime pour le Président Macky Sall. Vous le lirez dans le livre, il comporte une révélation.
Toutefois, il faut le dire, il est né le 11 décembre 1961. Ce jour-là même, le Conseil des ministres du Sénégal nommait le jeune Abdou Diouf de 26 ans, Gouverneur de la région du Sine Saloum, localité dans laquelle il (Macky Sall, ndlr) est né.
Malgré le combat politique contre le Président Abdoulaye Wade, vous avez gardé une relation quasi-familiale avec votre successeur. On sait que vous côtoyez ses enfants, comment vivez-vous en tant que parent, que le fils d’Abdoulaye Wade soit aujourd’hui en prison ?
Je ne répondrai pas à cette question. Ce sont les affaires intérieures du Sénégal. Notre pays est un pays de droit, notre justice est indépendante.
“Je pars en laissant le pouvoir à Abdou Diouf parce que je veux qu’il fasse une politique neuve,” avait dit le Président Senghor. En quoi pensez-vous avoir fait une politique, autre que celle qu’il a fait et quel est selon vous, la conception de la politique en général ?
Senghor a dit cela au soir du 31 décembre. Le 1er janvier au soir, le nouveau Président Abdou Diouf a dit “j’assurerai la continuité et je conduirai les changements”. Les changements adaptés aux années 80. Il n’y a pas de rupture.
Quand on lit nos “mémoires”, il y a quelque chose qui ressort, ce sont les valeurs de l’éducation. Ensuite, il y a le regard religieux que vous portez aussi sur vos contemporains. Aujourd’hui, il y a Boko Haram qui déstabilise toute une région, provoque le Cameroun, Ansar Dine et ses groupuscules qui ont failli aller à la conquête du Mali, les Shebabs en Somalie. Comment analysez-vous ce business de l’extrémisme en Afrique et dans le monde ?
Je pense que c’est la criminalité. Et s’il faut les combattre, il faut les combattre avec les armes parce qu’ils sont armés et usent de la violence.
> La première partie de l’interview avec Abdou Diouf ici