Face à nous du 23 octobre 2014 reçoit le Président du Burkina Faso, Blaise Compaoré. Dans cet entretien, l’invité explique les raisons d’un changement de la Constitution à quelques mois de la Présidentielle.
Constant Némalé: Fidèles du Président Blaise Compaoré, plusieurs figures du parti au pouvoir comme Roch Marc Christian Kabore, Simon Compaore, Salif Diallo ont rejoint la corde de l’opposition dont la figure tutélaire est Zéphirin Diabré. Une transhumance surprenante qui a pour conséquence de densifier deux blocs antagonistes. Des membres du parti au pouvoir solidaires et une opposition qui se veut revigorée face à un parti, selon eux, aux abois, mais plus que jamais déterminé. Le modèle du consensus à la burkinabè est-elle devenue une illusion ?
Blaise Compaoré: Non, il n’y a pas un consensus à la burkinabè. Nous sommes un pays dans lequel la gouvernance a toujours été inclusive. Nous avons beaucoup de concertations, de consultations, nous avons des institutions parlementaires qui fonctionnent aussi sur cette base d’ouverture, d’associer les membres de l’opposition au débat et bien sûr aux décisions qui se prennent à l’assemblée. Ce que nous vivons aujourd’hui, ce sont des choses que nous avons vécu par le passé. Donc, ce n’est pas la première fois qu’il y a ces divergences au sein de la classe politique.
La marche du 23 août a été une véritable démonstration de force, des slogans forts… quand vous dites qu’on a déjà vécu ça au Burkina Faso, est ce que vous ne donnez pas l’impression de ne pas prendre en considération ou de sous-estimer…
Au contraire, je respecte ce qui se fait, parce qu’on vit réellement la liberté des hommes et des femmes d’exprimer leurs points du vue.
Aucun risque pour vous aujourd’hui que ça dégénère ?
Il peut y avoir des dérives, mais ce que nous souhaitons, c’est que les burkinabè comprennent que ce qui est un débat aujourd’hui, c’est savoir comment nous allons assumer nos choix sans aller vers des dérives.
Demain, le Burkina Faso aura à choisir les hommes qui vont conduire sa destinée. En face, on a vu émerger un leader, Zéphirin Diabré. En toute franchise, dites-moi le regard que vous portez sur le combat politique qu’il mène contre vous ?
Moi je m’occupe de mon combat d’abord, je crois qu’il a son combat à mener, c’est à lui de savoir le combat qu’il s’est donné pour la vie.
Est ce que vous voyez en lui un homme d’Etat dans la manière dont il se conduit dans le débat démocratique ?
Je pense que c’est un homme qui a beaucoup de respect pour la République et la démocratie. Dans son groupe, il s’est comporté de la manière dont je souhaitais, qu’on est là pour un débat d’idées, de convictions et on doit l’exprimer à travers des messages.
Trois proches qui vous quittent, Simon Compaoré, Roch Marc Christian Kaboré, Salif Diallo, comment avez-vous vécu ces défections, indivuelles d’abord ?
Lorsqu’on gouverne et qu’on a des responsabilités que nous avons eues ces dernières années, il faut comprendre que cela peut arriver. Bien d’autres avant eux ont travaillé avec nous, ont quitté, cela ne nous a pas empêché de poursuivre et continuer de les respecter, respecter ce qu’ils font.
Mais, est ce que vous vous remettez vous-même en question ? Si vous avez des proches qui vous quittent, est ce qu’il y a une remise en cause ?
Non, je sais qu’on vient en politique avec ses ambitions. Et si on trouve qu’on ne peut pas par telle ou telle position, atteindre son objectif, on essaie de trouver une autre voie.
Ils vont dans l’opposition, ils créent des partis politiques, ils en deviennent des leaders et ce sont eux qui vous font les reproches les plus dures. Ils disent que vous désirez vous maintenir au pouvoir, ils parlent d’une patrimonisation, d’une monarchisation du pouvoir.
Je pense qu’eux-mêmes ne croient pas à cela. Je ne crois même pas que mon rôle, c’est de débattre avec des individus. Ce qui m’intéresse, c’est qu’il y a des institutions dans ce pays, je dois veiller à leur bon fonctionnement.
Est ce que si on est Président de la République comme vous, on est dans ce mouvement politique, on a déjà une idée de son successeur ?
Non, on se dit que le monde va vite, que ça change. Certainement qu’il y a des vues qui défilent dans nos esprits, mais je pense qu’on ne peut pas se fixer assez facilement sur une question comme cela.
Le Burkina Faso a réalisé selon plusieurs institutions, des progrès indéniables sur le plan socio-économique. Mais, le pays a un taux de croissance de 5% depuis les années 2000. Il est identifié comme un des pays les plus pauvres. Les burkinabè qui regardent cette classe politique se battre ont une priorité. C’est leur quotidien. Vous avez mis en chantier un plan de lutte pour l’emploi. Quel bilan faites-vous de ce plan, le fameux Pse ?
Il fonctionne bien surtout que nous sommes en train de le renforcer avec des mesures sociales et économiques en vue de permettre à nos sociétés de pouvoir bénéficier d’opportunités, de soutien pour être encore plus présents dans le monde du travail.
Vous avez souhaité développer un certain nombre de pôle économique. Depuis la dernière élection présidentielle, quel bilan faîtes-vous de ces actions en sachant qu’on a bien vu que vous avez changé de Premier ministre, on n’a pas l’impression que vous êtes fixé sur un véritable horizon. Qu’est ce que vous pouvez nous dire de la politique que vous avez mis en place pour le développement économique et social de votre pays ?
Lorsque vous avez souligné que le Burkina Faso reste un pays pauvre, il aurait fallu aussi que vous notiez que nous étions à moins de 20% de taux de scolarisation et qu’on est à 80% aujourd’hui. Nous étions aussi à plus de 20 km de distance moyenne entre population et les centres de santé et qu’aujourd’hui, nous sommes à 5 ou 6 kilomètres.
Ce que beaucoup de gens ignorent depuis 2008, le Burkina Faso est devenu un pays minier. En 2009, l’or devenait le premier produit d’exportation du pays. En 2013, ces taxes minières ont apporté près de 190 milliards de Fcfa au budget de l’Etat, mais beaucoup trouvent que ce boom minier ne semble pas profiter suffisamment aux populations. Comment faites-vous le rapport entre le boom minier et le développement de ces populations ?
C’est sûr qu’on n’avait pas cette production d’or, il y a dix ou vingt ans. 190 milliards de Fcfa, c’est peut être les 10% du budget de l’État. Donc, ce n’est pas ça qui va changer le Burkina du jour au lendemain. Mais, il y a de bonnes perspectives et je crois que cela va venir non seulement à travers ces ressources, mais aussi à travers des sociétés de sous-traitance qui vont accompagner ce boom. Ce qui va donner plus d’emploi et d’opportunités.
Quand vous entendez la société civile estimer que le Code minier en vigueur profite plus aux multinationales au détriment de l’État, vous en êtes conscients ?
Nous sommes au début de cette exploitation minière. Ce qui veut dire qu’en cette phase, il faut qu’il y ait des accords qui permettent aux investisseurs et à l’État d’en tirer profit.
Dernière question monsieur le Président, le Burkina Faso n’a pas de frontière maritime. Le pays n’est pas doté d’aussi grands moyens énergétiques ou minérales que certains autres pays d’Afrique, quel futur économique entrevoyez-vous pour votre pays ?
Nous avons lancé deux pôles de croissance en expérimentation qui sont en train d’être mis en oeuvre. Ce sont les pôles de croissance de Bagré qui va se produire autour de la croissance agricole, végétale et de la transformation de ces produits. Nous avons aussi lancé cette semaine, un pôle de croissance minier pour le Nord et qui va comporter à la fois, un ensemble d’industries minières, mais aussi de services qui seront liées aux mines. Nous pensons qu’autour de ces grands ensembles économiques, nous pourrons tirer des expériences suffisantes pour construire d’autres pôles.
> La première partie de l'entretien avec le Président Blaise Compaoré ici